Une rencontre inattendue
Hier, j’ai rencontré un arbre. Comme je m’étais arrêté pour voir ses feuilles tombant comme des larmes, il m’a dit « Que se passe-t-il, tes amis ne viennent plus me voir » et il a ajouté : « certaines comme Marie-Luce, Anne-Marie, Martine et d’autres me prenaient dans leurs bras et me disaient des mots doux. Certes elles écorchaient mon écorce, elles m’étouffaient un peu, mais cela me faisait plaisir.
Je savais bien que ce n’était pas par pur amour et qu’elles voulaient me voler un peu de mon énergie alors que j’en ai juste assez pour résister au vent qui me secoue et se moque de mon immobilité, lui qui d’un seul coup va voir la mer et jouer avec elle. La mer, moi qui aimerais tant la voir.
J’ai beau monter de plus en plus haut, je ne vois que des toits, des nuages et d’autres arbres aussi handicapés et tristes que moi. C’est si triste la vie d’un arbre.
Vous les hommes, vous vous êtes plaints d’être limités dans vos déplacements pendant 2 ou 3 mois. Nous, nous sommes confinés durant toute notre vie. Jamais, jamais nous ne pouvons faire un pas, aller vers un autre, notre isolement est total. Là où nous sommes nés, là nous allons mourir.
La mort est notre seule espérance. Certes il y a un enfer et un paradis pour nous. Certains d’entre nous finiront au bûcher dans une cheminée où les flammes feront la joie des enfants qui pourtant ont été notre seule joie quand ils montaient dans nos branches.
Mais d’autres arbres morts seront plus heureux, ils deviendront des cannes pour des vieux messieurs, j’en connais un parmi vous qui est très gentil. Nous aidons alors à marcher, nous qui n’avons jamais pu faire un pas de notre vivant.
D’autres encore plus heureux deviendront des mâts de grands bateaux parcourant les Océans. Quelle récompense pour compenser cette tragique immobilité de notre vivant.
Car de notre vivant tout est triste. Nous sommes masculins et féminins, mais nous ne pouvons jamais nous rencontrer. Nous avons des élans d’amour, nous produisons une petite semence de vie, mais c’est le vent ou de laborieuses petites abeilles qui la portent à notre partenaire, sans nous donner aucun bonheur. Quelle tristesse pour des amoureux.
Au printemps, on croit pouvoir se réjouir, on a des feuilles, toute douces, toute gentilles ; six mois plus tard elles nous quittent. Elles profitent du moindre souffle du vent pour nous abandonner.
Elles préfèrent vivre sur le sol que passer l’hiver avec nous. Elles sont ingrates les feuilles que nous avons nourries, ingrates comme les fleurs et les fruits dont nous ne profitons jamais.
Ce sont les hommes, les oiseaux, les insectes, les vers qui nous les volent. Parfois, on nous envie car nous avons des racines. On nous dit que l’homme rêve d’avoir des racines. Pourtant les racines c’est affreux. Elles vivent toute leur vie dans le noir, sans jamais voir la moindre lumière. Elles nous apportent de l’eau, rarement claire, jamais la moindre goutte de vin.
Pourtant il nous arrive de transformer l’eau en vin, mais ce n’est pas pour nous. Quelle tristesse la vie d’un arbre. Je ne peux pas venir à votre rencontre, alors j‘ai hâte, grande hâte que vous veniez me voir de nouveau.
Dites à toutes les Marie-, les Anne-Marie, les Simone, les Odile, les Jeanine, les Farida, les Suzelle, les Martine, les Josette, les Hélène, les Ghislaine, les Régine, les Michèle, les Carole, les Nicole, les Claire, les Françoise que je les attends pour qu’elles me parlent de la mer, à moi qui ne pourrais jamais la voir de mon vivant.
Jean-Marie.